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Pr Alain Bougouma

Notre journal « La tribune du médecin » a sollicité de ma modeste personne un message à adresser à mes confrères dans la rubrique « La bonne idée ».

Cet honneur qui m’échoit est un fardeau lourd à porter sur mes frêles épaules !

En effet le risque est grand pour moi d’apparaitre condescendant, un donneur de leçon, ce que je n’oserai pas faire, car je crois sincèrement qu’il serait malséant de m’ériger en exemple au point de donner des directives à qui que ce soit. Cependant j’estime avoir assez vécu ma vie tout court et ma vie professionnelle pour échanger sur notre profession avec mes collègues pour beaucoup d’entre eux plus jeunes que moi. Je sollicite l’indulgence de certaines personnes que je pourrais heurter par mes propos à la lecture de cette missive ; Qu’elles me pardonnent d’office mon outrecuidance !

Nous avons choisi ce métier pour beaucoup d’entre nous par vocation, par passion et pour une minorité (je suppose !) pour diverses raisons : volonté première des géniteurs qui voulaient un médecin dans la famille, le fait que c’est une profession où l’on recrute encore, le prestige de la blouse blanche, volonté de s’enrichir financièrement …. ! Nous avons navigué durant les années de nos formations sur les mers de l’ambition et nous avons accosté sur les rivages du succès le jour où nous avons prêté le serment d’Hippocrate. Nous voici médecins depuis ce jour appelés à traquer la maladie, à la vaincre parfois (nous avons le devoir de prodiguer les meilleurs soins possibles à nos patients mais nous n’avons pas le devoir de les guérir, la guérison étant un privilège divin !). Raoul Follereau disait et je cite : « le plus grand malheur qui puisse nous arriver est que nous ne puissions être utiles à personne, que notre vie ne serve à rien ! ». Nous avons bien de fois la vie de nos patients entre nos mains surtout dans notre contexte où les ressources humaines qualifiées sont insuffisantes, où l’ignorance, la pauvreté et même parfois la misère règnent avec en face un personnel de santé confronté à des problèmes existentiels au quotidien. « La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie » disait André Malraux et nous devons la préserver à tout prix ! Cela exige de nous, de nous remettre en cause bien souvent, de quitter nos certitudes éculées à l’image de Frantz Fanon : « Ô mon corps, fais de moi quelqu’un qui interroge ». La formation médicale continue est un impératif pour que chacun de nous ne devienne un danger pour ses patients !

Nous devons beaucoup à ce pays qui nous a vus naitre, qui nous a formés à grands frais et qui attend en retour de nous, une mise à disposition sans équivoque !

La population de notre pays, bien de fois, n’est pas du tout tendre avec nous, dans ses propos à travers les réseaux sociaux, les media de tous genres. A la limite les agents de santé sont les enfants d’une même mère : le diable !

Il est vrai que les media dans leur majorité sont peu enclins à défendre le personnel de santé, à leur accorder le bénéfice du doute, la présomption d’innocence devant les propos de certains plaignants qui présentent bien entendu toujours la situation à leur avantage. Il est vrai que la tendance naturelle est de prendre partie pour les supposés faibles, le patient, qui dans bien des cas est impatient comme son nom ne l’indique pas. La palme de l’impatience revenant bien souvent à certains accompagnateurs zélés pressés d’aller vaquer à d’autres occupations. Il est vrai que dans tout corps de métier existent des brebis galeuses et notre corps n’en manque pas (loin s’en faut !) et la majorité des gens ne voient que la paille dans votre œil mais jamais la poutre dans les leurs. Il est vrai que le patient qui se présente à nous est souvent diminué par la maladie qui le met en position de « solliciteur » alors que ses poches sont bien souvent vides, dans des rangs souvent longs avec des conditions d’accueil exécrables parfois au grand dam du médecin, le premier dépité, découragé ! Mais ……. !!!!!

Il faut que nous ayons le courage de nous regarder dans un miroir, de regarder dans le rétroviseur de nos comportements, de nous parler franchement et sincèrement car bien de fois aussi nous ne sommes pas sans reproche et à la limite nous sommes bien de fois coupables. Nul n’est parfait, ni vous ni moi, la perfection étant divine j’en conviens ! Mais si un seul médecin est vilipendé, c’est toute sa corporation qui l’est ! Nous les formateurs, sommes aussi comptables de ce que nos formés font de mal car ce sont nos « produits » et c’est nous qui avons estimé qu’ils étaient aptes à servir et à exercer leur art ! Leur avons-nous enseigné le savoir, le savoir-faire, le savoir être et le savoir faire faire, comme il se doit ? Il est vrai que l’on ne connait réellement quelqu’un que face à certaines situations qui révèlent sa vraie personnalité. Mais la question reste posée et nous devons sans faux fuyants l’examiner avec la plus grande lucidité au cours de la plus grande introspection surtout en ces temps de massification des effectifs dans nos UFR et facultés !

Il est vrai que le jeune médecin mis sur le marché du travail est le produit d’une société et est à l’image de cette société. Pour notre société actuellement le « savoir » ne compte pas ou si peu, n’est pas valorisé, seul « l’avoir » compte ! « Tu n’as rien donc tu n’es rien ! », « ferme ta bouche et fais parler plutôt ta poche ! » entend t-on souvent. Nos jeunes médecins (et pas seulement !) sont aussi attirés par l’appât du gain, le gain « facile » et perdent leur âme sur l’autel de la cupidité ! Ils ambitionnent avoir beaucoup d’argent pour figurer parmi ceux qui comptent dans ce pays ! Bonjour alors la quête à tout va de moyens illicites (racket, marchandages divers et dégradants, demandes d’examens « alimentaires » que l’on réalise soi même tout en étant conscient qu’ils ne seront pas d’une aide au diagnostic, « trafic »   de patients pour des « évacuations alimentaires » et j’en passe !). Nos jeunes médecins doivent se dire que la confiance ne se décrète pas, elle se mérite ! Il faut donc la mériter pour fidéliser nos patients et leur permettre de s’ouvrir à nous pour nous aider à les soigner ! Hippocrate ne disait il pas : « brève est la vie, long est l’art, malaisée à saisir l’occasion et trébuchante est l’expérience » ? En choisissant la courte échelle pour avoir tout et tout de suite ce que les aînés ont acquis au prix de privations pendant de longues années on finit par se perdre et donner de soi même une image si exécrable que même si en cours de route on change, la confiance ne pourra être rétablie avec les patients ! Il est aussi vrai que les patients veulent avoir leur médecin disponible de jour comme de nuit et ne comprennent pas pour certains qu’il prenne un congé alors qu’eux souffrent ! C’est à nous de savoir leur dire avec la plus grande courtoisie que leur médecin est avant tout un humain qui a une famille et une vie après l’hôpital, qui a certes des devoirs envers eux mais qui a aussi des droits !

Il est vrai que toute personne détentrice d’une parcelle de pouvoir a tendance à en abuser et qu’il nous faut savoir raison garder et rester humbles serviteurs de ceux pour lesquels nous avons été formés et pour lesquels nous sommes payés à la fin du mois même si ce n’est pas par eux ! Le médecin sort de nos facultés actuellement très jeune et pour la population jeunesse rime avec inexpérience, à la limite incompétence parce qu’elle était habituée à se faire examiner et traiter par des médecins bien plus âgés. Ce désavantage relatif à une certaine génération peut être rattrapé en lui portant le respect, la considération et l’écoute nécessaires pour briser le mur de la méfiance et de la défiance. Sachons écouter pour mieux nous faire comprendre, sachons convaincre et non contraindre ! La santé de nos patients est notre raison d’être ! Rappelons-nous toujours notre serment d’Hippocrate !

Loin d’être une « élucubration d’un has been au crépuscule de sa carrière » ce message est plutôt une invite à mes jeunes collègues (sans stigmatisation aucune !) et pourquoi pas aux moins jeunes à une introspection et à rectifier le tir si nécessaire pendant qu’il est temps pour la grandeur de notre noble profession et pour que nos illustres devanciers ne se retournent de dépit dans leurs tombes !

                                                 Professeur Alain BOUGOUMA

                                                    Hépato gastroentérologue

 

 

 

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