Améliorer les pratiques médicales est un enjeu à la croisée des questions en rapport avec la qualité des soins pour les patients. C’est une préoccupation commune pour l’ensemble des acteurs en charge de la santé quel que soit le domaine d’intervention. La bonne pratique médicale est un levier important pour l’amélioration de l’efficience de notre système sanitaire. Mais il faut savoir aussi que bonne pratique médicale rythme avec bons équipements biomédicaux et la relation est étroite. Les technologies de la santé ont un rôle essentiel dans le fonctionnement d’un système sanitaire. Les équipements biomédicaux sont importants pour la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies. Et aujourd’hui, chaque hôpital veille à ce que ces dispositifs soient sûrs, précis, fiables et opérationnels pour une pratique médicale efficace au profit des nombreux patients. De bons équipements biomédicaux favorisent une bonne pratique médicale et c’est l’objet de ce dossier rédigé avec deux médecins Pr Charlemagne OUEDRAOGO, par ailleurs Président de l’Ordre des Médecins du Burkina, Dr Idriss TRAORE, Anesthésiste-Réanimateur et un pharmacien, Dr Zacharie KAFANDO tous du CHU de Bogodogo.
Pour traiter efficacement leurs patients, les médecins ont nécessairement besoin de matériels adaptés. Que ce soit pour effectuer des tests, pratiquer des soins ou tout simplement pour exécuter un diagnostic sur leurs patients. Tout le monde veut être bien soigné et dans de bonnes conditions. Tout praticien aussi veut pratiquer son art de la manière la plus belle possible et la plus correcte qu’il soit. La pratique médicale s’entend l’exercice de la médecine avec le patient au centre ; des soins accordés à un patient que ce soit dans un but diagnostic, thérapeutique, préventif ou dans un but de la réadaptation. De manière globale, c’est l’ensemble des procédures qui participent à l’offre de soins. Pour le Dr Idriss TRAORE, médecin Anesthésiste-Réanimateur au CHU de Bogodogo, la bonne pratique médicale suppose le respect de la déontologie, la considération accordée au patient pour les soins, le bon équipement médical et l’obligation de moyens pour dire la bonne ressource humaine. Pour résumer, le Pr Charlemagne OUEDROGO, Gynécologue-Obstétricien, Directeur des Services Médicaux et Techniques au CHU de Bogodogo et Président de l’Ordre National des Médecins du Burkina, va dire que la bonne pratique médicale, c’est celle qui respecte les checklists et les codes établis dans l’exercice de la médecine. Il ressort que l’équipement médical est au cœur de la pratique médicale. Assurer la fiabilité et la maintenance d’un équipement est essentiel pour une bonne pratique médicale dans un hôpital. Dans le cadre du renforcement de la qualité de l’offre de soins, il est essentiel de réfléchir à une meilleure démarche d’acquisition et d’exploitation des équipements biomédicaux à travers de nouveaux modèles économiques pour éviter la paralysie dans le travail, qui ne profite ni aux praticiens ni aux patients.
« Il est difficile de faire une bonne pratique médicale si on n’a pas un minimum d’équipements biomédicaux. La loi même dit que pour faire une bonne pratique médicale, il faut avoir de bons équipements biomédicaux. Sans de bons équipements biomédicaux, la pratique médicale n’est pas impossible mais elle est amputée de beaucoup de choses qui font que le patient n’a pas forcement le rendu qu’il faut », explique le médecin Anesthésiste-Réanimateur, Idriss TRAORE. Et le Pr Charlemagne OUEDRAOGO de faire un schéma tout simple : « si mon laboratoire est en panne, je ne peux pas connaître l’état de santé du malade avant de l’opérer. L’équipement biomédical étant en panne la pratique médicale est remise en cause. La relation équipement biomédical et pratique médicale est étroite ».
L’équipement médical, qu’est-ce que c’est ?
Tous les acteurs du système sanitaire utilisent ou travaillent avec l’équipement médical allant du simple lit d’hôpital jusqu’au Scanner ou l’IRM. Selon la définition que donne Dr Zacharie KAFANDO, Pharmacien et Chef de service de la Pharmacie Hospitalière du CHU de Bogodogo, les équipements biomédicaux font partie d’une catégorie de produits médicaux appelés dispositifs médicaux qui ne reposent pas sur un mécanisme pharmacologique, c’est-à-dire sur une interaction entre une substance active et l’organisme receveur comme on peut le constater avec d’autres produits médicaux, comme le médicament et les vaccins. On distingue 4 classes de dispositifs médicaux selon le niveau de risque pour le patient : le niveau de risque le moins élevé est la classe où on retrouve les dispositifs médicaux non invasifs où sont logés les équipements biomédicaux. L’équipement biomédical est alors défini par ce pharmacien comme un appareillage destiné à aider le diagnostic et le traitement des problèmes médicaux. Il est en général conçu selon les règles rigoureuses de sécurité. Il y a divers types d’équipements biomédicaux : l’équipement de diagnostic comme les appareils d’imagerie médicale, l’IRM, l’équipement thérapeutique (les pompes à perfusion), l’équipement vital qui permet de maintenir les fonctions corporelles du patient, les appareils à dialyse par exemple. Il y a aussi les moniteurs médicaux qui permettent à l’équipe médicale de mesurer l’état médical du patient, l’équipement médical automatisé de laboratoire qui aide à l’analyse du sang, par exemple les automates de biochimie et les automates d’hémodialyse.
Une définition qui vient confirmer qu’il est quasi impossible d’exercer la médecine sans des équipements biomédicaux. Cependant, le constat sur le terrain est alarmant. Les Etats Généraux de 2016 avaient révélé un déficit criard en équipements biomédicaux dans le système sanitaire à écouter Dr Idriss TRAORE. « En 2018, sur 18mille scanners réalisés dans la ville de Ouagadougou, 15mille étaient réalisés dans le privé, le public n’a réalisé que 3 mille scanners, autrement le scanner ne fonctionne pas bien. Il n’y avait qu’un hôpital qui avait le scanner, le CHU Yalgado OUEDRAOGO. Tout quasiment manque en termes d’équipements biomédicaux dans les services et dans tous les domaines. Avec la Covid 19, on s’est rendu compte de ce manque en matière d’imagerie, en matière de réanimation. Nos hôpitaux sont sous équipés ou mal équipés. La maintenance ne suit pas, l’équipement qui existe est obsolète. En Anesthésie-Réanimation, il n’y avait pas plus de 10 lits de réanimation pour tout le Burkina, pour les urgences c’est la même chose, pareil dans les blocs opératoires. Les équipements de base et les équipements lourds font défaut, des blocs opératoires sont restés fermés pendant des mois », affirme l’Anesthésiste-Réanimateur.
Le Pharmacien KAFANDO, lui a fait le constat que notre pays importe quasiment tous les équipements biomédicaux. La maîtrise de la qualité de ces équipements dit-il est tributaire du respect de la règlementation d’importation et de distribution de ces produits. « Il y a des règles élémentaires qui définissent les conditions d’importation et de distribution de ces produits. Il y a un arrêté de 2013 portant conditions d’octroi, de retrait et de renouvellement d’agréments techniques pour la fourniture de réactifs, pour la mise en service, la maintenance du service et des équipements mais qui n’est pas suffisamment appliqué. Le 2e constat est la qualité approximative des équipements souvent acquis et le 3e constat reste l’épineuse question de la maintenance des équipements dans nos formations sanitaires. Sans oublier que la plupart de ces équipements ne font pas toujours l’objet d’enregistrement ou homologation par le ministère de la santé avant la commercialisation. La pré-sélection des fournisseurs n’est pas pratiquée par les hôpitaux si bien qu’au moment des appels offres pour l’acquisition de ces équipements, des fournisseurs peu qualifiés se retrouvent sélectionnés. La maintenance primaire par nos utilisateurs et la maintenance secondaire par des ingénieurs biomédicaux peu qualifiés ne sont pas bien assurées. Ce qui fait que la performance et la durée de vie de ces équipements biomédicaux en dépendent beaucoup », telle est la réalité dépeinte par le Dr KAFANDO. Une situation qui n’est guère étrangère au Pr OUEDRAOGO, puisqu’il la vit au quotidien en tant que praticien. Selon lui, tous les praticiens rencontrent des difficultés dans le processus d’offre des soins à cause des équipements biomédicaux inexistants ou défectueux. « Les hôpitaux ne sont pas autonomes pour l’acquisition de leurs équipements biomédicaux parce que leur budget ne le permet pas et les procédures d’acquisition des équipements biomédicaux sont bien codifiées depuis le ministère de la santé, de sorte qu’il y a un certain nombre d’équipements que les hôpitaux ne peuvent pas s’en procurer comme le scanner et l’IRM par exemple. Et puis, ce type d’équipements était acquis par voix d’appel d’offres et dès que ces équipements tombent en panne, il y a des difficultés pour les réparer, il y a des difficultés pour assurer une maintenance préventive », se désole-t-il.
Que faire alors ?
Il y a plusieurs obstacles à l’équipement et de nombreux défis à relever pour assurer une offre de soins de qualité. La plupart des équipements biomédicaux sont acquis sans consulter le praticien au préalable, parce que la loi ne le permet pas selon Dr TRAORE et celui-ci se retrouve des fois avec des équipements qui ne sont pas adaptés au contexte de pratique suivant toujours l’Anesthésiste TRAORE. « On se retrouve souvent avec ‘’un bon cimetière’’ de matériels d’équipements qu’on ne peut pas utiliser dans les hôpitaux », déplore-t-il. C’est pourquoi, il propose une nouvelle façon de faire comme la mise à disposition ou le leasing afin de permettre d’acquérir de bons équipements et d’assurer leur durabilité à travers une bonne maintenance. « La pré-qualification des fournisseurs est importante car il ne suffit pas de déposer un dossier pour être qualifier pour fournir du matériel. Que les Sociétés savantes édictent pour une certaine marque et cela aura l’avantage pour que la maintenance soit facilitée avec des contrats de maintenance », avance-t-il. Et le Pr OUEDRAOGO d’ajouter : « quand un hôpital n’a pas la capacité de maintenir ou de réparer un équipement de pointe, il ne faut pas en être propriétaire, il faut louer son service avec le fabriquant et chacun trouve son compte. Et si ces équipements doivent évoluer avec de logiciels ou doivent être changés, que ce soit le fabricant qui les change et nous continuons un partenariat en mode leasing sans rachat surtout et chacun tire son compte. Le malade parce que l’équipement est disponible pour offrir des services, l’hôpital parce que les recettes sont là et sa mission est accomplie, celui qui a déposé aussi est content, parce qu’il a des recettes qui participent à l’amortissement de son équipement ». De la sorte, les ingénieurs biomédicaux pourront aussi bénéficier des renforcements de capacités pour être plus opérationnels. L’Anesthésiste TRAORE, précise tout de même qu’il faut que ce modèle économique puisse préserver l’intérêt du patient, car il est au cœur de la pratique médicale. Il faut garantir l’accessibilité des soins aux patients et il faut garantir aussi les ressources humaines. Bref, il faut tenir compte des priorités dit-il.
Par rapport à l’implication des utilisateurs, le Directeur des Services Médicaux et Techniques du CHU de Bogodogo, le Pr Charlemagne OUEDRAOGO affirme que son hôpital est dans cette dynamique à travers un exercice d’arbitrage qui se fait avec l’implication de tous les acteurs, piloté par le service de la Pharmacie Hospitalière. Cette année par exemple, le CHU de Bogodogo a fait un point d’acquisition d’équipements biomédicaux à hauteur de 600 millions hormis les équipements de pointe comme le scanner et l’IRM qui sont très couteux pour l’hôpital. Raison pour laquelle, la démarche du ministère de la santé d’impliquer les différents acteurs en matière d’équipements biomédicaux a été positivement accueillie malgré quelques suggestions ou réserves émises. Pour le Dr Idriss TRAORE qui a représenté le syndicat, il convient dans cette démarche de s’assurer qu’aller vers le leasing ne signifie pas aller vers un monopole de fait, que le leasing se fasse avec la pré-qualification des marques et l’implication des praticiens, que le leasing puisse garantir l’accessibilité des soins aux patients, qu’on puisse garantir les ressources humaines. Pour lui, il faut aller vers la médicalisation du système de santé pour que le modèle puisse marcher.
Dans le même ordre d’idées, le Pr OUEDRAOGO va souligner qu’une recommandation des Sociétés d’Etat avait demandé à ce que les hôpitaux puissent développer de nouveaux partenariats pour acquérir les équipements biomédicaux. « Nous avons mis cela en application pour le laboratoire et ce projet s’appelle Convergences à Bogodogo, dans lequel il y a un gros équipement qui permet de faire différents types d’examens de laboratoires, que le partenaire fabricant a déposé. Nous avons signé une convention tripartite et dans cette convention, nous n’achetons pas l’appareil, nous n’achetons pas les réactifs, nous avons des recettes avec une clé de répartition entre les acteurs. Nous ne nous occupons pas de la maintenance. Que cette expérience réussisse au CHU de Bogodogo et que ça puisse faire tache d’huile dans les autres CHU du pays », illustre-t-il son propos.
L’Ordre des médecins à travers son Président, le Pr Charlemagne OUEDRAOGO dit être très favorable pour de nouveaux modèles économiques et pour le système de leasing. Pour cette institution, il s’agit d’un nouveau partenariat qui va permettre d’innover et de sortir du bourbier dans lequel sont les hôpitaux actuellement.
Mais en attendant que ces nouveaux modèles économiques soient universels, Dr Zacharie KAFANDO pense qu’il faut faire appliquer le texte règlementaire et amener les établissements concernés qui ne sont pas en règle à se conformer. Le 2e défi que le pharmacien voit est de disposer d’une liste nationale d’équipements médicaux essentiels à l’image des médicaments pour mieux encadrer la base d’approvisionnements. Le 3e défi dit-il est la maîtrise du circuit d’approvisionnement de ces équipements au niveau national. A ce niveau, il interpelle la Société de Gestion de l’Equipement et de la Maintenance Biomédicale (SOGEMAB) qui devra assurer la présélection des fournisseurs d’équipements biomédicaux locaux et externes, l’approvisionnement, le stockage, la distribution et peut même accompagner les formations sanitaires dans la maintenance préventive et curative. « Chaque structure hospitalière étant autonome, il est indispensable qu’un comité ou un groupe technique soit mis en place pour assurer au niveau de la structure hospitalière la présélection du couple équipements-fournisseurs de façon périodique. Un appel d’offres sur la présélection permettrait de s’attarder sur une présélection plus approfondie de la qualité des équipements proposés et de la qualité des fournisseurs », propose-t-il. L’acquisition des équipements biomédicaux à en croire le pharmacien KAFANDO doit obéir à un processus participatif, qui tient compte du projet d’établissement de l’hôpital concerné. Tous les services doivent participer depuis l’expression des besoins jusqu’à l’appel d’offres et jusqu’à la réception. « Tous les hôpitaux ont un projet d’établissement qui est comme une Bible de l’hôpital et on doit se baser sur ce projet pour exprimer les besoins », s’exprime-t-il.
La position de l’Ordre des Médecins est claire. Il faut de bons équipements pour que tous les acteurs du système de santé, en l’occurrence les médecins qui utilisent ces équipements biomédicaux puissent remplir correctement les missions d’offre de soins sécurisés. Cela va permettre comme le dit si bien son Président aux hôpitaux d’être à l’abri des souffrances. L’image de nos hôpitaux poursuit-il sera bien belle et ils pourront offrir des soins appropriés et qui tiennent compte des procédures diagnostiques, thérapeutiques et de réhabilitation.