‘’La conscience professionnelle pour le médecin a forcément un caractère humain, mais elle a aussi un caractère humanitaire’’
Bien connu dans le milieu médical burkinabè, Dr Aurélien Jean SANON, Chirurgien et Médecin de Santé Publique à la retraite, a été Président du Conseil Régional du CROM de Ouagadougou de 2009 à 2013. Toujours disponible pour des sujets en rapport avec la profession du médecin, nous parlons avec lui aujourd’hui de la conscience professionnelle du médecin, à l’occasion de la journée internationale de la conscience.
Communication CNOMBF : Dr SANON, que devons-nous entendre par conscience professionnelle du médecin ?
Dr Aurélien Jean SANON : Avant de parler de la conscience professionnelle du médecin, il est bon pour moi de fixer la conscience professionnelle tout court. La conscience professionnelle tout court, c’est le comportement qui pousse un travailleur à faire scrupuleusement son travail, sans qu’un contrôle ne soit nécessaire. Maintenant s’agissant du médecin, il y a une particularité qui est liée au fait que sur le sujet sur lequel il travaille, c’est l’homme et que cela conditionne terriblement cette conscience professionnelle. Si ailleurs, on peut bien faire quelque chose qu’on n’aime pas, il est difficile de travailler comme un médecin, de soigner un homme, si on n’aime pas l’homme. C’est valable pour tous les agents de santé. Si on n’a pas l’amour du prochain, c’est difficile de pouvoir faire ce travail et d’être médecin, donc la conscience professionnelle est forcément conditionnée par cet amour de l’homme.
Sur quoi repose la conscience professionnelle du médecin ?
La conscience professionnelle repose d’abord pour un travailleur sur son application à faire correctement son travail. Elle repose aussi sur son éthique comportementale. Je veux dire par là, les valeurs qui sont ses valeurs propres, la capacité qu’il a de prendre ses responsabilités, de respecter les codes qui sont celui de son milieu professionnel, la possibilité qu’il y a pour lui d’accepter ou de refuser un certain nombre de choses. Le respect aussi de la hiérarchie. Mais ça débouche sur son implication dans son travail. Cette implication, c’est au niveau individuel et au niveau collectif. S’agissant d’un médecin, le travail individuel c’est quand il est en face d’un malade qui est venu le voir, c’est collectif quand pour ce même malade, il est obligé de faire recours à d’autres professionnels de santé ou à d’autres médecins tout simplement. Aujourd’hui, on ne peut plus dire qu’un médecin prend en charge tout seul un malade jusqu’à sa guérison. Il a forcément besoin des autres professionnels et ça introduit la notion d’esprit d’équipe. En ce moment, la conscience professionnelle ne repose plus sur un individu, elle repose sur tous les individus d’une équipe. Et là, un seul individu de cette équipe qui ne se comporte pas bien, cela se répercute sur le résultat de travail de toute l’équipe. C’est sur cela je crois vraiment que repose la conscience professionnelle.
A propos de l’évolution de la conscience professionnelle Docteur ?
La conscience professionnelle n’est pas un acquis définitif. Elle peut évoluer et elle évolue même avec le temps et dans le temps. A propos de l’évolution dans le temps, on peut dire aujourd’hui, que la conscience professionnelle n’est pas ce qu’elle était il y a 40 ans. Aujourd’hui, on semble être plus préoccupé par ce qu’on gagne que par ce qu’il y a à faire. Je trouve que c’est dommage mais c’est un fait. Celui qui gagne mieux à tendance à mieux faire son travail que celui qui gagne peu pour le même travail. Maintenant cette conscience évolue avec le temps aussi. Je prendrai tout simplement l’exemple de la fonction publique hospitalière qui est posée depuis longtemps. Il y a beaucoup d’espoir qui sont déçus, parce que ça ne s’applique pas. Je comprends que ça joue sur la proportion à bien faire son travail.
Comment cultive-t-on cette conscience professionnelle ?
Si on veut rester dans le milieu du médecin, j’ai parlé tout à l’heure de l’amour de l’homme, parce qu’il ne faut pas qu’on oublie que c’est sur l’homme qu’on travaille. Il faut déjà avoir une chose en tête. La conscience professionnelle pour le médecin, a forcément un caractère humain, mais elle a aussi un caractère humanitaire. Le caractère humain, c’est ce qui fait quand vous regardez quelqu’un travailler, quand vous voyez un médecin travailler, même si vous ne voyez pas sur quoi il travaille, vous vous rendez compte que c’est un être humain qui travaille. Le caractère humanitaire qu’il y a dans ce travail, c’est que cette même personne quand vous la voyez travailler, le simple fait de la voir travailler, vous fait penser que c’est sur un être humain qu’il travaille. Autrement dit, ce n’est pas un vétérinaire, ce n’est pas un maçon, mais c’est sur un être humain et ça ne doit se percevoir rien qu’en le voyant travailler. Et quand on a ça dans la tête, ça pose forcement l’autre condition, qui fait que personne y compris le médecin n’échappe à la maladie et que, tout en étant médecin, tout en s’occupant des malades, on se place chaque fois à la place de celui qui est sur le brancard et qu’on s’imagine étant sur le brancard, et qu’on se demande comment j’apprécierai ce que je suis en train de faire en ce moment. Je crois que ces différentes notions permettent d’amener tout un chacun à ne négliger aucun détail dans ce qu’il est en train de faire. Ça permet d’être au quotidien et tout le temps en train de chercher à faire bien ce que l’on doit faire.
Quelles peuvent être les conséquences liées à un manque de conscience professionnelle ?
Quand on manque de conscience professionnelle, les conséquences sont énormes. Je l’ai dit tout à l’heure. Dans l’esprit d’équipe, quand une seule personne ne fait pas bien son travail, c’est toute l’équipe qui empathie et le malade aussi. La conséquence la plus lourde c’est la perte d’une vie, parce qu’on n’a pas fait correctement son travail, quelqu’un meurt et les cimetières sont remplies de ce genre d’erreurs, de ce genre de comportement. Il y a aussi beaucoup de handicapés qui portent des séquelles liées à un manque de conscience professionnelle. Les conséquences peuvent être nombreuses surtout quand on est en santé publique et que là, le travail qu’on fait ne concerne pas un malade, mais des millions de malades. Un mauvais comportement peut entraîner tout un tas de choses. Entraîner une épidémie ou faire durer une épidémie plus longtemps que ça ne devrait, parce que tout simplement quelqu’un ou un groupe d’individus n’ont pas fait leur travail. Si on veut résumer, les conséquences sont l’atteinte à l’intégrité d’une personne et ça peut aller jusqu’à la perte de la vie de cette personne.
Des conseils pour les jeunes ?
Des conseils pour les jeunes, j’entends par-là celui qui veut s’engager dans la profession de médecin. C’est comme ce que je l’ai dit tout à l’heure, aimer le patient, aimer l’homme d’abord avant même de commencer à être médecin, parce que si on n’aime pas l’homme qui est en bonne santé, c’est difficile d’aimer l’homme qui est malade. Mais si on a un amour profond pour l’homme d’une façon générale, on aura suffisamment de compassion pour celui qui est malade. C’est la 1ère des choses. La 2e des choses, c’est qu’on doit avoir dans l’idée, que c’est la satisfaction du malade qui doit être au centre de nos préoccupations, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif, et tout le système de santé même de mon point de vue, doit être centré sur la satisfaction du malade. De ce point de vue, le plus grand supérieur hiérarchique que le médecin a, c’est son malade. Ce n’est pas le Directeur de l’hôpital, ce n’est pas le Ministre de la Santé, ni le Président du Faso, c’est le malade et il faut qu’il soit satisfait. Tant qu’on n’a pas satisfait ce patron, on ne peut pas penser avoir satisfait autre chose, y compris l’estime que l’on peut avoir de soi quand on a le sentiment d’avoir bien travaillé. Pour conclure, si on est médecin et qu’on veut avoir une carrière dans la profession médicale, cette carrière sera d’autant plus réussie que chaque fois qu’on a eu à faire à un malade et que ce malade a été satisfait.
CNOMBF