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Dr Bicaba

Depuis mars 2020 le Burkina Faso fait face à la Covid 19 et depuis lors, le gouvernement burkinabè fait du mieux qu’il peut pour apporter une réponse à cette urgence sanitaire. Des actions ont été faites et les réflexions se poursuivent dans le sens de venir à bout de cette pandémie qui a eu des incidences négatives sur presque tous les plans. Le Burkina Faso à l’épreuve de la Covid 19, c’est le sujet qui nous a amené vers le Dr Brice Wilfried BICABA, médecin épidémiologiste, Directeur du Centre des opérations de Réponse aux Urgences Sanitaires (CORUS) et Coordonnateur du comité sectoriel santé de riposte contre la Covid 19. Les priorités et actions menées dans la gestion de la Covid 19, l’évolution actuelle de la maladie, la gestion de la Covid 19 dans les CHU, le bilan à ce jour sont autant d’aspects qui ont été abordés avec le Dr Brice Wilfried BICABA dans la présente interview.

Depuis mars 2020, le Burkina est à l’épreuve de la Covid 19, dites-nous quelles ont été vos priorités, les contraintes actuelles et les actions que vous avez menées ?

Dr Brice BICABA : c’est une opportunité que vous nous offrez de revenir sur la gestion de la Covid 19 au Burkina Faso. Depuis le 9 mars où nous avons enregistré les premiers cas, il y a eu un certain nombre d’activités et d’actions qui ont été mises en œuvre. Mais avant de rentrer dans la riposte à proprement dite, nous avons eu une grosse partie dans le cadre de la préparation. Vous savez que lorsqu’il y a une épidémie chez les voisins, l’une des priorités c’est de préparer le pays à faire face à l’entrée éventuelle de cette épidémie dans le pays. Il y a une bonne partie donc qui a été accordée à la préparation du pays afin de faire face à la maladie à travers l’élaboration d’un plan de préparation et l’Organisation Mondiale de la Santé nous a accompagné dans ce sens. Il y avait des plans standards qu’il fallait contextualiser au niveau du pays en tenant compte de nos réalités. Nous avons aussi préparé les équipes à tous les niveaux du système de telle sorte à ce que le système puisse réagir face à d’éventuels cas.  Cela suppose qu’on ait des capacités au niveau des laboratoires pour faire le diagnostic. A l’époque, nous avions un seul laboratoire de référence de la grippe qui n’avait pas les réactifs pour le faire et très rapidement on a renforcé les capacités d’un certain nombre de laboratoires. Nous sommes aujourd’hui à 17 laboratoires qui sont en mesure de faire l’urgence face à la Covid 19.  Ensuite, il y avait le personnel de santé. La priorité c’était de protéger le personnel de santé dans l’exercice de ses fonctions pour qu’il puisse travailler en toute sécurité. Cela suppose que le personnel de santé soit formé à comment se protéger de manière spécifique contre la Covid 19. C’est vrai que de manière générale le personnel a déjà une formation pour la prévention et le contrôle des infections, mais de manière spécifique, il fallait cela. Il fallait aussi doter le personnel de santé en équipements de protection individuelle, s’assurer qu’ils aient les masques de protection adaptés et également avoir tout le dispositif pour faire la désinfection après.

Nous avons la prise en charge aussi. Il fallait s’assurer que les plateaux techniques répondaient aux normes et qu’on ait des infrastructures avec un certain nombre d’équipements pour prendre en charge les cas modérés à sévères, éviter qu’il ait une létalité élevée. L’un des points également c’est la surveillance, pouvoir détecter les cas suppose que vous avez eu un bon système de surveillance au départ.  Au début, on avait ce dispositif au niveau des aéroports pour effectivement pouvoir capter les signaux, les alertes dans la société par rapport aux cas. Il y a eu aussi la mise en place du numéro vert à travers le 3535 pour recevoir les différentes alertes et donner les informations utiles. Voilà donc des activités prioritaires, mais au-delà de tout cela, nous avons la coordination, cela implique plusieurs parties prenantes et il fallait cette coordination pour pouvoir avoir les mêmes objectifs et aboutir aux mêmes résultats.

Quant aux contraintes, au début de la maladie, on a eu comme problème la disponibilité en intrants surtout de laboratoire.  Au regard de la situation épidémiologique au niveau mondial qui est marquée par une augmentation des cas dans certains pays européens, il y a eu une grosse compétition pour la disponibilité des réactifs et des consommables accompagnants ces réactifs, pour la disponibilité également des appareils de laboratoire, des extracteurs automatiques qui sont insuffisants à notre niveau, au niveau du laboratoire pour éviter une surcharge au niveau du personnel soignant.

Les autres contraintes, c’est l’indisponibilité d’un traitement ou d’un vaccin, il faut faire avec et mettre l’accent sur les mesures de prévention contre la Covid 19.

Les actions menées depuis le début de la maladie, ça va être un peu difficile de résumer, il y a eu plusieurs phases dans l’organisation de la riposte. Il y a eu une première phase qui était marquée par une première monture de coordination nationale ; cette phase était caractérisée par un nombre important de ministres dans le comité (19 ministres) et par une primauté des aspects sanitaires de lutte contre la Covid 19.  Il y avait également une centralisation de la lutte avec la réquisition du CHU T pour la prise en charge des cas à Ouagadougou. Au cours de cette phase, nous pouvions noter aussi l’activation du CORUS et la réquisition du personnel de santé pour faire face à la crise... Au regard de la psychose qui s’était installée, il y a eu beaucoup d’efforts qui ont été faits.

La 2e phase a été marquée par un réajustement au niveau de la coordination. En effet au regard de l’impact de la Covid 19 dans plusieurs domaines autres que la santé, il y a eu la réforme de la coordination nationale autour du Premier Ministre ; le nombre de ministres a été réduit pour passer à 10 ministres et il y a eu la mise en place de cinq comités sectoriels pour prendre en compte l’aspect multisectoriel de la riposte.  L’accent a également été mis sur les comités régionaux et les provinciaux de gestion des épidémies. Cela a permis l’appui d’autres secteurs comme l’appui alimentaire aux personnes indigentes ou aux personnes confinées dans le besoin. Le comité sectoriel communication a permis d’appuyer les activités de de communication, tandis que le comité sectoriel libertés publiques et engagement communautaire accompagnaient la mise en œuvre des mesures de santé publique (fermeture des marchés, fermeture des bars) ; enfin le comité sectoriel coopération et développement a permis la proposition d’un certain nombre d’axes pour la relance de l’économie. Cela a permis de prendre de manière plus globale la gestion de la crise et d’avoir une réponse holistique à cette pandémie. Il y a eu la révision du plan de réponse qui a été faite.

La 3e phase est survenue après constat de la diminution du nombre de nouveau cas et de l’inflexion de la courbe épidémiologique. Nous sommes allés alors dans un processus de dévolution de la prise en charge de la Covid 19 dans le système de routine.  Il s’agit de l’intégration de la Covid 19 dans la prise en charge de la routine, faire en sorte qu’à tous les niveaux du système de santé, que les agents de santé soient outillés, qu’ils aient les protocoles, le matériel pour la prise en charge. Nous sommes dans cette phase depuis le mois de juillet et nous travaillons à renforcer le système de santé. 

De manière globale, on peut retenir quelques actions clés : depuis le 9 mars, il y a eu la fermeture des écoles, le 21 mars la fermeture des frontières, le couvre-feu, le 24 la fermeture des 36 principaux marchés, le 27 mars la quarantaine des villes avec au moins 1 cas, le 30 mars la déclaration d’alerte sanitaire, le 10 avril la suspension des transports urbains et interurbains, le 27 avril le port obligatoire du masque, le 4 mai, la réforme de la coordination, le 1er juin la réouverture de quelques écoles, la fin du couvre-feu le 03 juin, le 1er juillet le début de la dévolution et le 1er  août la réouverture des frontières aériens. De manière globale, nos actions sur le point de vue sanitaire se sont articulées autour des 10 groupes thématiques que nous avons eus à mettre en place, notamment la surveillance aux différents points d’entrée, la prévention et le contrôle des infections à travers le déploiement des équipes pour désinfecter les domiciles, les lieux publics, et rendre les lieux aseptiques, le renforcement des capacités des laboratoires à travers tout ce qui est comme activités de laboratoire, la logistique, l’approvisionnement de toutes les formations sanitaires en consommables, en matériels de consommation, la gestion de ces stocks, la planification pour informer la population de l’évolution de la situation, assurer la sécurité de nos équipes dans les zones à sécurité précaire où il y a eu des cas et nous avons dû travailler avec la sécurité pour aller investiguer.  Enfin, nous avons  un groupe thématique en charge  de l’analyse, de la réflexion et de le recherche. La grosse difficulté ici est que nous n’avons pas assez d’évidence pour cette maladie. Lorsque nous étions confrontés à un problème, on faisait des saisines à ce groupe qui était composé d’un groupe de chercheurs, qui sur la base de leur réflexion établissaient un rapport au comité sectoriel santé. Après échanges au niveau du comité sectoriel santé, des recommandations ou propositions étaient faites à la coordination nationale avant validation par le Conseil des Ministres. Voilà un peu quelques grosses actions que nous avons eu à faire, ce qui nous permet aujourd’hui en termes de bilan de faire ressortir que nous avons à la date du 16 novembre, environ 2652 cas de Covid repartis entre 902 femmes et 1750 hommes, 123 cas actifs, et malheureusement 68 décès. Le nombre de tests que nous avons réalisés tourne autour de 68 656 tests avec une positivité de 3,86 ;   depuis le 9 mars nous avons enregistré plus d’un million 800 mille appels sur le 3535 et suivi de 10849 contacts.  Voilà globalement résumé ce qu’on peut dire en termes d’activités que nous avons eu à mener.

Au regard de ce que vous venez de dire, comment appréciez-vous l’évolution actuelle de la maladie ?

Nous avons noté que nous avons atteint notre pic entre le 6 et le 12 avril soit environ 2 mois après la maladie. Et après cela, nous avons eu une diminution du nombre de cas, qui s’est confirmée durant les mois de juin, juillet et puis en septembre, nous avons eu une légère augmentation avec l’apparition des foyers bien localisés, notamment les grappes de Bobo Dioulasso. Il y a eu une remontée du nombre de cas en septembre et début octobre, mais cela s’est stabilisé par la suite l’analyse du taux de reproduction de base qui est à 1, nous montre que nous avons une tendance à la stabilisation.   

 On constate au niveau de la population, un relâchement au niveau des mesures de restrictions surtout en cette période de campagne électorale notamment, n’y a-t-il pas lieu de s’inquiéter ?

Bien sûr. Nous avons avant le début de la campagne électorale élaborer des directives à l’attention de tous les acteurs qui devaient entrer en campagne et pour la population également puisque nous communiquons régulièrement sur les mesures de prévention, pour éviter que la campagne ne soit une occasion de reprise de la maladie.  Nous avons diffusé ces mesures pour que les uns et les autres puissent s’en approprier et observer ces mesures et éviter qu’il n’y ait un rebond.  C’est toujours le moment de rappeler que les lieux de rassemblement sont effectivement des lieux où il y a un risque de diffusion de l’infection. Il faut respecter les mesures de port de masque, éviter de se saluer, de s’embrasser, il faut se laver régulièrement les mains avec des solutions hydroalcooliques ou avec du savon.

Vous l’avez dit plus haut, la gestion de la Covid est maintenant décentralisée dans les centres de santé, c’était aussi une recommandation de l’Ordre des Médecins, comment vous appréciez la mise en œuvre aujourd’hui ?

Nous avons travaillé avec tous les acteurs de telle sorte à prendre toutes les propositions parce que vous savez qu’au début, il n y’avait pas d’évidence.  On apprenait dans l’action et tout ce qui était fait comme propositions par les différents acteurs dont l’Ordre des médecins, ont été prises en compte et comme on le voit aujourd’hui, nous sommes dans une phase avancée de la dévolution de la prise en charge de la Covid 19 dans la routine ; aujourd’hui, on peut dire qu’au niveau des formations sanitaires périphériques, il y a moins de craintes, moins de psychose par rapport au début, les acteurs ont été formés ou sont en train d’être formés, ils savent comment prendre en charge des cas, ils ont des informations sur la maladie, ils ont également  le matériel de protection, donc on pense que cela va continuer et se renforcer. On peut voir aussi que dans les hôpitaux aujourd’hui, on a plus de matériels de pointe tels que les lits de réanimation pour prendre en charge les cas graves.  Ce qui dénote aussi une augmentation de nos capacités, une amélioration des plateaux techniques. Covid est une crise certes, mais il faut profiter de cette crise pour renforcer aussi les différents plateaux.  Tous les hôpitaux auront pratiquement des lits de réanimation, nous avons les renforcements de capacités des laboratoires, nous avons également la construction des centres d’isolement pour la prise en charge des maladies hautement contagieuses, et ceci viendra renforcer les capacités du système de santé.  C’est bien vu de l’Ordre des médecins qu’il fallait intégrer et nous sommes sur la même longueur d’onde.

On a constaté aussi une réticence chez certaines personnes à faire le test, cela n’est-il pas une difficulté ?

 Au tout début de la pandémie il y avait cette crainte effectivement à faire le test, parce que les gens ne voulaient pas se faire hospitaliser. Cependant après la révision des directives de prise en charge qui autorisait que les cas simples ou ne présentant pas de signes de dangers soient pris en charge à domicile et l’ouverture de centre de dépistage volontaire, nous avons observé une augmentation du nombre de dépistage volontaire. Aujourd’hui, nous sommes à 400, 500 tests souvent par jour, parfois 1300 tests par jour et donc nous ne constatons pas cette réticence. Nous avons dû même arrêter le test de dépistage volontaire à un certain moment au regard de la demande qui ne correspondait pas à notre capacité à offrir des tests.

Nous savons que le CORUS est en première ligne dans la lutte contre la Covid 19, comment vous jugez votre bilan à ce jour ?

 C’est difficile de pouvoir apprécier soi-même son travail.  Nous avons prévu la revue intra action qui sera un bilan au cours de l’action prévue pour le mois de décembre. Pour cela, nous serons assistés des experts de l’OMS et avec la participation de toutes les parties prenantes nous allons faire un bilan à mi-parcours sans complaisance pour tirer les leçons, les insuffisances et ce qu’il faut améliorer pour la suite.  Nous avons prévu aussi une revue après action, ce qui nous permettra aussi de consolider notre connaissance de la gestion de la Covid et faire de sorte qu’après la gestion de cette pandémie, qu’on puisse capitaliser et faire de sorte que la postérité puisse se servir de ce que nous avons eu à faire comme expérience pour les prochaines épidémies.

En attendant cette revue intra action, dites-nous déjà un mot sur cette gestion

 On a appris en faisant, on a ajusté, nous avons effectivement été confrontés à un problème avec nos ressources locales mais nous avons essayé de trouver des solutions locales à ce problème. Parfois, nous avons eu des insuffisances, nous avons corrigé ces insuffisances et nous sommes allés de l’avant. Il fallait aussi être à l’écoute de la population pour prendre en compte effectivement les aspirations, ce que la population avait comme aspirations pour essayer de voir la faisabilité, comment l’ajuster avec le contenu technique, les aspects techniques et faire de sorte que nous puissions aller de l’avant. Ça n’a pas été facile partout dans le monde, il y a eu beaucoup d’infotox ; il y a eu aussi beaucoup de controverses dans le débat scientifique autour de la maladie, ce qui n’a pas facilité la tâche en termes de communication au niveau de la population. Il fallait prendre en compte de tous ces éléments et communiquer au niveau de la population burkinabè pour faire passer des messages et ne pas perturber la compréhension d’un certain nombre de choses.  Il y avait aussi la psychose au début mais qui s’est estompée par la suite. Malheureusement cela n’est pas sans conséquence puisque nous assistons à un relâchement des mesures barrières du fait de cette trop grande assurance.

Nous sommes convaincus qu’on viendra à bout de la Covid 19 comme tous les problèmes auxquels l’homme a été souvent confronté. On a toujours trouvé des ressources pour pouvoir les relever et nous pensons que nous en viendrons à bout. Il y a des vaccins qui sont annoncés pour le premier ou le 2e trimestre de l’année 2021. Nous pensons que cela permettra de renforcer les mesures de lutte qui sont en place et de faire reculer la maladie.  

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