Dr Boukary OUEDRAOGO est le 1er Médecin Spécialiste en Informatique Médicale et Épidémiologie du Burkina Faso. Il mène ses études de médecine générale à l’Université Joseph KI ZERBO et obtient son Doctorat d’Etat en médecine en 2009. Mais avant la soutenance, il a travaillé au Centre National des Œuvres Universitaires pendant un an et demi où il accompagnait le médecin responsable pour soigner les étudiants. Après sa soutenance, il va travailler dans une clinique privée à Ouagadougou avant d’intégrer la Fonction Publique en 2010. Il sera ensuite successivement Médecin Chef d’un Centre Médical, puis Médecin Chef d’un District Sanitaire. En 2011, il s’inscrit à un Master d’Expertise et d’ingénierie des systèmes d’information, option Informatique Médicale en ligne à ses propres frais. Sur la quarantaine d’étudiants internationaux inscrits à ce master, Dr OUEDRAOGO sera le seul lauréat de la bourse octroyée par l’université de Marseille pour effectuer une thèse de doctorat en Informatique Médicale à l’Université d’Aix-Marseille. Il s’y rendra physiquement à Marseille en France pendant 4 ans pour son doctorat sur la thématique suivante : Système de surveillance épidémiologique au Burkina Faso : contribution à la mise en place d’un dispositif informatisé de remontée des données du paludisme et analyses geo-épidemiologiques pour la prise de décision. Il revient au Burkina en 2018 avec son diplôme de DOCTORAT en Pathologie humaine, Spécialité Recherche clinique et santé publique, Option Informatique Médicale et Épidémiologie. Dans la même année il est nommé Directeur des Systèmes d’Informations en Santé. Dans la Rubrique ‘’Chez nous Médecins’’ sur les Pionniers de Spécialités, nous avons rencontré cette semaine Dr Boukary OUEDRAOGO, ‘’un jeune Baobab’’ de l’Informatique Médicale et de l’Épidémiologie au Burkina Faso pour connaître son parcours et ses ambitions.
Presse et Communication du CNOMBF : nous savons que vous êtes le 1er Médecin spécialiste en Informatique Médicale du Burkina, racontez-nous comment ça s’est passé Docteur ?
Dr Boukary OUEDRAOGO : c’est une opportunité pour moi de parler de cette discipline, une discipline qui n’est pas très bien connue mais dont le concept a été créé depuis les années 1960 par le Pr François Grémy (médecin, physicien, biostatisticien, informaticien et professeur des universités). Effectivement, je suis médecin de Santé Publique avec une spécialisation en Informatique Médicale. Après avoir soutenu ma thèse de Doctorat, j’étais médecin Chef d’un Centre Médical. C’est de là-bas que j’ai fait le Master d’expertise et d’ingénierie des systèmes d’information en santé à l’Université de Marseille. J’ai eu la chance d’être parmi les lauréats pour ne pas dire que j’étais le seul à bénéficier d’une bourse à l’Université de Marseille pour aller faire ma thèse de Doctorat en Informatique Médicale. Je profite de l’occasion pour présenter cette discipline. Il faut dire que l’Informatique Médicale conceptuellement embrasse trois grandes disciplines :
- l’Informatique de Santé Publique. Quand on parle d’Informatique de Santé Publique, c’est tout ce qui est en rapport avec l’utilisation des logiciels d’aide à la décision et l’analyse des données de population.
- Il y a un second volet qu’on appelle également l’Informatique Clinique, qui concerne surtout l’utilisation des logiciels d’aide à la décision notamment les appareils de monitorage (réanimation par exemple) et d’aide au diagnostic
- Le dernier domaine est la Bio-Informatique. Cette discipline approfondie les connaissances pour tout ce qui concerne l’analyse des cellules et des gênes. Les bio-informaticiens sont souvent sollicités dans les situations d’expertise telles que les investigations post mortems pour l’identification de substances chimiques causales.
On a donc trois grandes catégories : l’Informatique Clinique, l’Informatique de Santé Publique et la Bio-Informatique. Voici présenté de manière sommaire ce que c’est que l’Informatique Médicale qu’on appelle également Informatique biomédicale. L’Informatique Médicale est une des branches de la Santé Publique. Quand on dit que vous êtes médecin de Santé Publique, cela laisse donc présager que votre spécialité peut être l’épidémiologie, les biostatistiques, la santé environnementale, l’économie de la santé, l’informatique Médicale, etc. Parallèlement à mes études médicales à l’Université de Ouagadougou, je me suis auto formé en langage de programmation informatique avant de faire une formation d’un mois à ma 5ème année de médecine sur les bases de données et la création de sites web dynamiques. C’est cet engouement pour l’informatique qui a occasionné cette spécialisation que j’ai faite après ma formation en Médecine Générale. J’ai fait un Doctorat en Informatique Médicale. Je suis le 1er Médecin spécialiste dans ce domaine au Burkina Faso à ma connaissance. Cependant, à ce jour il y’a deux autres confrères médecins qui se sont formés et le pool s’est amélioré depuis l’année 2020.
Après votre spécialisation vous êtes revenu au Burkina, racontez-nous
Il faut dire que depuis 2013 j’accompagne l’UFR SDS comme enseignant vacataire en informatique médicale (cet enseignement obligatoire dans les facultés de médecine depuis le curricula harmonisé de l’OOAS). Même quand j’étais à l’extérieur, je m’organisais pour être présent à Ouagadougou lors des programmations afin de pouvoir dispenser les modules aux promotions concernées. L’attachement à mon pays et la volonté d’être utile à mon pays ont été un catalyseur pour mon retour après ma formation. En effet, avant même de finir mon Doctorat en Informatique Médicale, j’avais la possibilité de rester en Europe, puisque ma bourse me permettait de partir avec toute ma famille (chose que je n’ai pas voulue essayer comparativement à certains de mes compatriotes qui sont partis et s’y sont installés après leur formation). Je me rappelle qu’après mon retour, j’ai reçu un mail de proposition de poste en l’Île de France dans un CHU pour un poste d’Informatique Médicale. A l’époque ma carte de séjour qui couvrait encore deux ans me permettait de repartir si je le souhaitais, mais ma décision était prise de ne pas faire l’aventure mais d’accompagner mon pays sur place.
Quand je suis revenu, j’ai réintégré la Fonction Publique et j’ai eu la chance d’avoir la confiance des premières autorités du Ministère de la Santé qui ont bien voulu me confier cette Direction des Systèmes d’Information en Santé. Cette direction m’a permis d’orienter les décideurs sur les meilleures pratiques en systèmes d’information, et d’accompagner l’élaboration de certains documents essentiels d’aide au pilotage.
Je suis également enseignant vacataire à l’Université de Marseille, où j’aide à encadrer des sujets de mémoire et à tutorer certains modules d’enseignement de master du département de santé publique qui m’a formé. J’accompagne également certains pays de la sous-région pour le cours de système d’information.
Est-ce que vous avez eu un parcours de médecin généraliste avant la spécialisation ?
Tout à fait. Il faut dire que j’ai exercé à plusieurs niveaux. D’abord j’ai été médecin au niveau du CENOU pour la prise en charge des étudiants qui consultent à l’infirmerie. Ensuite, j’ai exercé dans une clinique privée d’un confrère pendant au moins deux ans et j’étais le coordonnateur médical. C’est après cela que j’ai intégré la Fonction Publique qui m’a permis d’occuper le poste de Médecin Chef d’un Centre Médical (pendant deux ans), puis Médecin-Chef de district sanitaire (pendant deux ans et demi). C’est de ce dernier poste que je suis parti faire ma thèse d’informatique médicale en Europe.
Quelles ont été vos motivations vers cette spécialité ?
Tout d’abord il faut noter que j’ai fait un Baccalauréat C et très honnêtement ma première vocation était de devenir pilote, mais toutes mes tentatives ont été vaines pour avoir la formation. Quand j’ai déposé mon dossier à l’université, mon premier choix c’était la médecine et mes deux derniers choix étaient Mathématique Physique Chimie (MPC à l’époque). C’est pour dire que j’ai toujours eu un penchant pour les technologies de l’information appliquées à la santé. A titre d’exemple, quand j’étais en 6e année en 2005, il y a une mission française qui est venue à l’Université de Ouagadougou pour former l’ensemble des Informaticiens et étudiants sur la conception de sites web dynamique et en langage de programmation pendant un mois. J’ai vu l’affiche à la Faculté de Médecine, et il était précisé que seuls les étudiants et le personnel à l’Université de Ouaga bénéficiaient d’une subvention et ne payaient que 15.000 frs CFA, les participants hors de l’université devaient payer 250.000 Francs CFA. Uniquement 20 personnes étaient acceptées et contre toute attente nous étions que deux personnes de l’Université de Ouaga à nous inscrire, tous les autres participants étaient du secteur privé. C’est cette formation qui m’a permis après un mois de concevoir mon premier site web à la même année. Tout ceci pour dire que dans mon Background j’ai toujours aimé l’informatique tout en continuant mes activités médicales. En 2008, avec un confrère (Dr Yaméogo Aristide, qui vient de soutenir en 2020 sa thèse d’informatique médicale au Havre), nous avons été lauréats du meilleur site web (www.medouaga.net, n’existe plus à ce jour) dans le secteur de la santé lors de la semaine nationale de l’internet organisé par le ministère de l’économie numérique et des postes.
Est-ce que vous êtes en contact direct avec les patients ?
Non, consulter les malades non. J’ai beaucoup plus une casquette informatique appliquée à la santé. Mais je pense que les deux sont complémentaires, le fait d’être dans la partie informatique appliquée à la santé, permet d’accompagner les praticiens médicaux dans l’aide à la décision. Le ministère de la santé via ma direction et celle en charge de l’offre des soins est d’ailleurs sur un projet de télé consultation en collaboration avec le ministère de l’économie numérique et des postes (télédermatologie et télépédiatrie). Cette activité va consister à faciliter la prise en charge de patients qui sont dans des milieux reculés et dont l’avis d’un spécialiste est requis pour une meilleure prise en charge. Même si je ne suis pas en contact direct avec les malades, je contribue de manière indirecte avec mes autres confrères à prendre en charge de manière plus efficiente et efficace les patients.
Concrètement comment vous accompagner les autres spécialistes qui sont sur le terrain ?
Dans le cadre de l’appui aux autres spécialistes, l’informatique médicale met à contribution la télémédecine. Elle recouvre toutes les techniques et applications permettant d’intervenir à distance pour établir des diagnostics, mettre en œuvre des thérapeutiques, surveiller des traitements, assurer et suivre des soins coordonnés. Cette télémédecine se fait via 4 grandes composantes complémentaires : la télé consultation qui permet à un patient de bénéficier de la consultation d’un médecin géographiquement distant (le patient étant ou non assisté par un professionnel de santé) ; la télésurveillance qui facilite la surveillance (par des dispositif médicaux) d’une fonction vitale défaillante d’un patient à distance par le personnel médical ( le patient est généralement à domicile ou plus généralement en ambulatoire) ; la télé-expertise qui consiste à faciliter la communication entre deux confrères pour échanger les avis en l’absence du patient ; et la téléassistance qui aide à réaliser un acte sur un patient grâce à l’assistance à distance par un autre médecin.
La discipline informatique médicale est notamment nouvelle dans nos pays, mais les pays développés l’ont adoptée depuis les années 1960. Pour preuve, celui qui était le premier en Informatique Médicale était médecin (François Gremy), il était Biophysicien, et il a embrassé cette carrière qui a permis à la spécialité de voir le jour en 1960. A titre d’exemple pratique, la première opération de téléchirurgie dite « opération Lindberg » été réalisée en 2001 : il s’agissait d’une ablation de la vésicule biliaire, l’intervention a duré 45 minutes. La patiente était installée à Strasbourg, et le chirurgien, situé à New York, a manipulé les bras d’un système robotisé via un réseau à haut débit sur fibre optique.
Depuis les années 20O0, les dirigeants africains ont compris la nécessité d’intégrer cette discipline en formation initiale, et c’est ce qui a motivé au niveau du curricula harmonisé de l’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS) l’intégration de la formation en informatique médicale dans toutes les facultés de Médecine, de Pharmacie et de Chirurgie Dentaire.
Comment vous vivez ce privilège ?
Je vis ce privilège comme étant une opportunité à faire connaitre encore plus la discipline qui n’est pas réservée uniquement au corps médical. En effet, le premier doctorant en informatique médicale au Burkina (Dr Palm) est technologiste biomédical en formation initiale. C’est une occasion pour moi de continuer à accompagner tous ceux qui ont un engouement pour la discipline. On a n’a pas forcément besoin d’être de la santé (médecin, pharmacien, chirurgien-dentiste, infirmier…) pour faire la formation en informatique médicale. En Europe, même ceux qui ont un profil complètement informatique peuvent embrasser la carrière d’informatique médicale (j’ai d’ailleurs étudié avec les étudiants qui avaient ce profil lors de mon master 2). C’est un honneur et avec grande joie que j’accueille cette chance qui est également une invite pour moi à encourager mes autres confrères à capitaliser les atouts de l’informatique médicale pour améliorer la santé de la population.
Vos perspectives ?
Je souhaite poursuivre une carrière universitaire à temps plein pour contribuer à la formation des étudiants dans la discipline. J’ai eu la chance d’avoir une bourse pour aller faire un doctorat à l’extérieur, beaucoup veulent faire la formation mais n’ont pas cette opportunité d’aller à l’extérieur. La création d’un département d’informatique médicale favorisera l’accès à cette discipline à tous ceux qui sont intéressés.
Presse et communication du CNOMBF