Pr Adama LENGANI est le 1er Néphrologue du Burkina Faso. Après l’obtention de son Baccalauréat en 1970, c’est dans trois villes africaines qu’il va mener ses études de médecine générale : Dakar, Lomé, Cotonou et devient Docteur d’Etat en médecine en 1979 à Cotonou. Mais, il avait déjà commencé à travailler en 1977 au Burkina car intégré dans la fonction Publique comme médecin stagiaire à l’époque sans avoir soutenu et aura alors l’opportunité de faire un passage en Pédiatrie. En 1984, il s’envole pour la France pour sa spécialisation en Néphrologie. Il revient au Burkina en 1988 comme médecin Néphrologue et rejoint le CHU Yalgado OUEDRAOGO. Par son engagement, l’Unité de dialyse voit le jour en 2000 et le service de Néphrologie et Hémodialyse en tant que service autonome est créé en 2002 et Pr Adama LENGANI est nommé Chef de service. Il devient Professeur Agrégé en 1998 et Professeur Titulaire en 2010. Admis à la retraite depuis 2016, Pr Adama LENGANI continue ses activités d’enseignements. La néphrologie est une spécialité que Pr LENGANI a toujours aimée et tout au long de sa professionnelle, il s’est pleinement investi pour son développement. Dans la rubrique ‘’Chez nous Médecins’’ sur les Pionniers de Spécialités, nous sommes allés à la rencontre cette semaine de Pr Adama LENGANI, ‘’un Baobab’’ de la Néphrologie au Burkina pour revivre cette époque.
Presse et Communication du CNOMB : 1er Néphrologue du Burkina, racontez-nous comment ça s’est passé Professeur ?
Pr Adama LENGANI : quand je finissais mes études dans les années 1977-1979, la Néphrologie était un parent pauvre en Afrique. Elle n’existait pratiquement pas. Lorsqu’on faisait les études, on rencontrait les Néphropathies dans le service de médecine générale et pour nous, être malade de reins, c’était le signe de sortir de la vie. Quand c’était grave, il n’y’ avait rien à faire. Ça m’a quand même amené à me poser des questions, parce que lorsqu’on m’a fait l’enseignement, je n’arrivais pas à comprendre très bien pourquoi cet organe qui est paire, petit, même pas 200g/organe et que les deux gouvernent beaucoup dans notre organisme pour nous permettre de vivre pouvait en souffrir de la sorte. C’est ce qui m’a poussé dans un 1er temps à me pencher au cours de ma thèse de médecine générale sur les néphropathies et ensuite j’ai demandé à aller faire la néphrologie. J’étais aussi intéressé par la pédiatrie ou la nutrition médicale à l’époque. C’est sur cette base que j’ai été faire néphrologie dans les années 1984 et pour y aller ça été très difficile. C’est depuis 1982 que je devais y aller, mais il y a eu des entraves. Une des entraves concernait le terrain de stage de formation, il n’y avait qu’en France et il n’y a pas eu de problème à m’accepter. Mais pour avoir une bourse et y aller, c’était très difficile. C’était la coopération française qui gérait la plupart des bourses et à ce niveau, ils avaient trouvé que la néphrologie était inutile. Ça été difficile mais en fin de compte, j’ai pu aller faire ma spécialisation en France. Dès que j’ai fini, je suis rentré au pays.
Quand vous êtes rentré au Burkina, quelle était l’organisation qui était en place à l’époque ?
Je suis rentré en novembre 1988. C’est en début 1989 que j’ai commencé à travailler à Yalgado. Il n’y avait pas de service attitré. A l’époque, il y avait un service de Cardiologie, un service de Gastro, mais pour les autres spécialités, il n’y avait pas de service particulier. On les envoyait en médecine C. Il y avait les Diabétiques, les Neuropathies et ceux qui se plaignaient de douleurs rénales ou de maladies rhumatologiques. C’est dans ce service que j’ai commencé. Il y avait le Professeur KABORE et le service était dirigé par un Français. On mettait tous les malades ensemble : les diabétiques, les drépanocytaires, ceux qui avaient les maladies malignes du sang, ceux qui avaient le VIH, le Sida ont commencé par-là, on les hospitalisait dans des conditions difficiles, ce n’est pas comme maintenant. Il n’y avait rien, il fallait soutenir les gens, il fallait les accompagner en quelque sorte. C’était un service de médecine générale sauf ceux qui avaient les problèmes gastro et cardio. Dans ce service, on s’occupait des malades, cela veut dire que je peux m’occuper des diabétiques aussi bien que de ceux qui ont mal au dos, ceux qui ont une infection sévère etc. Mais ce qui était intéressant, c’est que je m’étais dit que je ne pouvais pas me disperser en m’occupant de tout en même temps. Je m’occupais des maladies rénales, Dr KABORE s’occupaient des maladies neurologiques et le Chef de service des diabétiques, c’était un médecin français très intéressant. Je peux dire que c’était un ami. Quand l’un d’entre nous était malade, les autres s’occupaient de tous les malades et c’était très intéressant à l’époque.
Comment s’est faite la transition pour que la Néphrologie soit un service autonome aujourd’hui ?
Comme je l’ai dit, j’ai refusé de faire de la médecine générale en oubliant ma spécialité, de sorte que petit à petit, je recevais les Néphropathies. Au début même, la notion de néphropathie, de néphrologie n’était même pas connue par le corps de la santé, les maux de reins venaient chez moi, après je les passais à tel ou tel médecin parce que ce n’était vraiment pas des maux de reins. Dans l’année où je suis rentré, il y a un Monsieur qui avait été évacué sur Paris et qui a été préparé à la dialyse au Burkina, on avait préparé l’achat du matériel. Il est revenu, je me suis occupé de lui sur le plan clinique général, il devait repartir au mois de mai et c’est en ce moment qu’il est décédé et ça m’a fait mal. A la suite de cela, la dialyse était une perspective qu’il ne fallait pas oublier. Pour revenir en arrière, pendant mes études, le patron du service français à qui je dois beaucoup, car m’ayant ouvert son école et à la fin de mes études, il m’avait dit de préparer un projet de dialyse et j’avais refusé compte tenu du niveau de développement de mon pays. Le projet de dialyse ne pouvait pas être facilement implantable au Burkina, parce que nous sommes dans un pays pauvre. Il m’a poussé et comme je ne pouvais pas refuser tout compte fait, j’ai accepté. Pendant trois mois avec un de ses médecins, qui s’occupait de dialyse, nous avons fait le projet qui m’a beaucoup appris, parce que pour moi c’était simple, or il y’ avait des normes, il fallait réfléchir, il fallait calculer, il fallait projeter, il fallait savoir ce qu’on allait faire et ça été très intéressant pour moi. Donc, je suis rentré avec un projet d’unité de dialyse et ce projet n’a pas eu de preneur, jusqu’à ce qu’un de mes amis défunts qui était à la Direction des Etudes et de la Planification Directeur à l’époque a été intéressé mais malheureusement ça n’a pas abouti. Compte tenu de la pression des malades en insuffisance rénale qu’on avait, la nécessité de la dialyse s’était de plus en plus présentée à nous et c’est ainsi qu’on a essayé de prospecter. J’avais un ami qui travaillait en collaboration avec une société minière canadienne et avec eux on a essayé de faire financer le projet. Ça n’a pas bien abouti. Ensuite, il y avait des propositions d’une machine de dialyse, sans rien qui accompagne et j’avais refusé. Il faut un projet parce qu’il va nous amener à former le personnel, à avoir un local et à savoir qu’on ne fait pas uniquement d’une manière instantanée, c’est dans une vue à longue échéance. C’est pour continuer et améliorer. On nous a proposé une dialyse en container avec un coût qui était fameux. Je dis non, je ne suis pas d’accord, qu’il nous donne l’argent pour que nous construisons nous même, mais ça n’a pas abouti. C’est ainsi que les choses se sont passées jusqu’à ce que l’actuel Premier Ministre, M. DABIRE nous donne un grand coup de main. Un jour il m’a dit, qu’il avait des fonds et que ça pouvait nous aider. C’est grâce à lui qu’on a commencé petit à petit à nous engager dans le projet dans les années 1991 par-là, jusqu’à ce que qu’à partir de 92-93 on ait commencé à élaborer le plan pour qu’à partir de 1998 on commence à savoir où construire et comment il faut faire. L’unité va être ouverte en mi-décembre 2000. On avait commencé la dialyse mais on était toujours en médecine C, et c’est en 2001- 2002, qu’on a créé le service de Néphrologie et Hémodialyse.
Quelle a été votre stratégie pour attirer des médecins dans votre spécialité ?
J’étais seul. Je me rappelle qu’en 1991 j’étais hors du pays et lorsque la Direction de l’Hôpital m’avait contacté, j’ai dit qu’il faudrait voir pour envoyer des gens faire la Néphrologie. L’intéressée m’avait fait savoir que ça la dépassait, parce que c’était du ressort du ministère de la santé, donc on n’a pas eu de Néphrologues en formation. Et entre temps en France, la formation avait été tarie sous la forme du certificat d’études spéciales en néphrologie. Il fallait faire le concours de l’internat français, ce qui faisait que c’était pratiquement fermé pour les Africains. En Afrique, il n’y avait pas de formation jusqu’à ce que dans les années 1998, mes collègues ivoiriens me fassent savoir leur envie d’ouvrir cette spécialité et j’ai trouvé que c’était une très bonne chose et je n’ai pas trouvé de problème pour mon association. Cette formation a commencé en 2000 et dès la première année, nous avons pu envoyer deux médecins Néphrologues. Parmi les deux, un est rentré, le 2e n’est jamais rentré. Après, lorsque le Ministère programmait de recruter des médecins pour la formation dans les années 2000, on n’avait pas de candidats, parce qu’il y a eu un moment où les jeunes médecins étaient plus attirés par des postes au niveau de la gestion des services de santé que la médecine praticienne. C’est avec le lobbying et avec l’ancien ministre YODA, on a fait beaucoup de réunions pour expliquer, que même s’il n’y a pas de médecins en activité qui remplissent les conditions pour la spécialisation, pour qu’on puisse déroger aux conditions, en permettant à des jeunes médecins qui viennent de finir d’aller faire leur formation et de revenir rendre le service à la population dans notre pays. Mais ça été une longue lutte et des Ministres comme le Ministre LENE, GUIGUIMDE, le Ministre YODA y ont mis d’eux-mêmes et certains jeunes Néphrologues ont bénéficié de cet appui. C’est pour cela qu’on a une génération de jeunes Néphrologues et ça fait plaisir. Je me rappelle que c’est en 2011 lorsque le Premier Ministre est venu à l’hôpital que j’ai soulevé le problème au cours d’une réunion en disant que je ne comprends pas. Est-ce que l’Etat ne pouvait pas même si c’est sur quelques années dégager un fonds et former en grand nombre de médecins spécialistes. Je ne sais pas si ce qui a été comme déclic, mais l’année qui a suivi on a commencé le programme de formation en grande quantité des médecins spécialistes. Le gros problème qui se pose, est-ce que l’esprit patriotique sera suffisamment développé pour qu’ils reviennent. Il y a deux pendants : la liberté individuelle, la recherche du bien être individuel et la redevabilité que nous devons. C’est un problème personnel mais qui a une conséquence. Je me rappelle qu’un des ministres avait disait que si des gens refusent de rentrer, ils allaient rembourser l’argent pour qu’on puisse former d’autres praticiens. Ce qui est juste. Je peux vous dire que la stratégie qui a été mise en place chez nous a été une bonne stratégie, parce que ceux qu’on a poussé pour aller faire la formation sont rentrés dans le pays et je pense que le travail qu’ils font sera formidable pour les malades de notre pays.
A propos du Diplôme d’Etudes Spécialisées de Néphrologie ?
C’est une longue histoire. Les conditions de création du DES n’existaient pas. J’étais seul. C’est lorsqu’on qu’au niveau du CAMES, on suggérait que les enseignants des différents pays puissent faire des noyaux pour la formation que je me suis engagé dans cette formation. Dans un premier temps avec l’engagement et l’appui d’un ami défunt qui était en Côte d’Ivoire. Il avait son collègue aussi qui était pour, j’avais des amis au Sénégal qui étaient pour, des amis de la Guinée qui m’ont été ouverts et c’est à la suite de cela, que lorsque la Faculté des Sciences de la Santé a demandé une possibilité d’ouverture de cette spécialité que je me suis engagé à l’élaboration. Je ne suis pas d’avis de dire je forme pour former. Il y a un minimum. Le DES a vu le jour tard, la première promotion est sortie, ils sont déjà sur le terrain et ils ont travaillé très fortement pour les acquisitions sur le plan théorique et sur le plan pratique. Il faut maintenant qu’ils les renforcent. C’est la pratique, ce sont les malades qui forment le niveau de compétence des médecins. C’est en se servant d’eux que nous nous améliorons. Si nous les prenons comme du matériel inerte, on va rester à ras du sol. J’espère que cette génération pourra amener la néphrologie à un niveau plus élevé.
Comment vous vivez ce privilège ?
Pour moi ce n’est pas un privilège, parce qu’on ne m’a pas poussé à faire Néphrologie. Je l’ai fait parce que j’aime bien et c’est un défi personnel. Lorsque je suis arrivé en France pour faire mes études, j’étais perdu et en discussion avec le patron, je lui ai dit que j’étais un médecin de brousse et j’avais perdu une bonne partie de mes connaissances pratiques. Il me disait ce qu’il fallait faire et il mettait en contact avec ses Assistants qui m’apprenaient des choses. Donc, pour moi, ce n’est pas un privilège. Quand j’ai fini mes études, le même monsieur était étonné quand je lui ai dit que je rentrais. Je savais que faire Néphrologie chez moi était un problème, c’était un défi mais j’ai préféré rentrer pour voir ce que je peux faire. Ce que je peux dire, c’est que j’ai assuré cette charge avec enthousiasme et avec la plénitude d’avoir fait ce que je veux. Pourquoi je dis que ce n’est pas un privilège ? Est-ce que vous savez que pour que je parte faire Néphrologie, je suis allé voir un de mes collègues, le Dr OUEDRAOGO Amadé, pour qu’on me mette en position de stage. Il y’ avait un problème administratif mais qu’il a pu résoudre. Personne ne connaissait Néphrologie mais OUEDRAOGO Amadé avait l’esprit ouvert. C’est pour vous dire que c’est dans une certaine mouvance que je suis parti faire néphrologie. Parmi mes collègues avec lesquels j’ai fait néphrologie, il y avait des Sud-Américains, il y avait beaucoup d’Arabes, il y avait quelques Asiatiques, quand on se rencontrait au cours des formations de néphrologie, ils me demandaient ce que je faisais et je leur disais : que c’était de la néphrologie générale compte tenu des réalités de mon pays. Mais curieusement, j’étais content parce qu’ils m’ont dit, en tout cas on t’admire.
On a de plus en plus de médecins néphrologues, comment vous vivez cette éclosion ?
C’est comme quelqu’un qui a faim et quand il a eu à manger il est tellement malade qu’il se demande mais qu’est-ce que je vais faire. Pourquoi je dis cela ? Il n’y avait pas beaucoup de Néphrologues, on en forme aujourd’hui. Est-ce que vous savez que j’avais demandé au ministère depuis des années un plan simple de développement de la néphrologie au Burkina. Nous n’avons pas les capacités d’exercer la néphrologie, surtout la dialyse parce que c’est trop cher. Il aurait fallu qu’on en ait notre propre compréhension et qu’on sache que ce n’est qu’un outil et comment nous allons l’utiliser pour que ça rende service. Et c’est dans ce cadre que j’avais demandé un plan de développement de la néphrologie et c’était simple. Il y avait Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Fada N’Gourma, et c’était écrit ce qu’on allait faire dans telle échéance et ce qu’on va faire pour y arriver. Maintenant, on ne l’a pas fait, on se met à former. 20 Néphrologues qu’on va dispatcher partout. Il faut relever le niveau au niveau des CHR et des CHU. Il faut un minimum pour pouvoir diagnostiquer, pour pouvoir traiter. Le stéthoscope, le tensiomètre aident certes, mais pour le néphrologue c’est à ras du sol. Ce qui lui permettra de travailler, ce n’est pas ce que l’œil nu va voir. Tout le monde voit les urines colorées, mais qu’est-ce qui colore ? Il faut donc la biologie, il faut la paraclinique, on ne demande pas d’aller chercher quelque chose de sophistiqué, il faut le minimum, or quand on regarde, ce minimum n’est pas développé. Par fini, le niveau des spécialistes va régresser. Il faut que le travail quotidien sorte de la routine. J’étais seul, s’ils sont nombreux, il faut qu’ils sortent de la routine, or, l’ambiance globale fait que ça ne va pas. C’est pour cela que je dis qu’il faut que les hôpitaux où on les affecte aient un niveau minimum, sinon les Néphrologues ne pourront pas travailler.
Des conseils pour les jeunes médecins ?
Si tu as un malade devant toi, tu t’occupes de ton malade, tu te mets à cœur que ce malade m’a amené un problème de santé, j’apporte ce que au maximum ce que je peux lui apporter. Je peux y arriver ou pas, c’est autre chose, mais si l’effort que j’ai fait est à la hauteur de mes capacités, je peux être fier. Qu’ils s’occupent bien des malades, qu’ils sachent que la plupart de nos malades n’ont pas d’argent. Maintenant, il y a des contraintes, ce sont les conditions dans lesquelles on me demande de rendre le service. Il faut que ces conditions soient acceptables. Mais le clientélisme, courir à gauche et à droite, n’est pas une bonne chose. Il y a une certaine intégrité que le médecin doit avoir.
Presse et Communication du CNOMB