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Pr Séni KOUANDA

‘’ Nous avons le sentiment que la question de l’indépendance du Comité d’Ethique n’est pas toujours bien comprise’’, Pr Séni KOUANDA

 

Après 6 années passées à la tête du Comité d’Ethique pour la Recherche en Santé au Burkina, Pr Séni KOUANDA, médecin de santé publique, Directeur de recherche en épidémiologie à l’Institut de Recherche en Science de la Santé arrive au terme de son mandat. C’est en 1997 qu’il obtient le titre de Docteur en médecine  à l’Université de Ouagadougou et le titre de Docteur en Santé Publique (épidémiologie) en 2008 à l’Université Catholique de Louvain en Belgique. L’homme a gravi tous les échelons académiques et est aujourd’hui Directeur de Recherche. Ayant fini son mandat à la tête du Comité d’Ethique, l’ancien Secrétaire Général de l’Ordre des Médecins du Burkina continue son travail habituel de chercheur qui le passionne tant.  Membre fondateur de l’Institut Africain de santé Publique au Burkina, l’éminent Pr KOUANDA est convaincu qu’un financement conséquent de la recherche, engrangera de résultats probants en matière de santé des populations. Il tire un bilan satisfaisant de son passage à la tête du Comité d’Ethique malgré quelques insuffisances relevées. Interview !

 

Vous venez de finir votre mandat à la tête du Comité d’Ethique, dites-nous un mot sur ce comité ?

Pr Séni KOUANDA : c’est vrai, c’est sur deux mandats successifs que j’ai eu à présider le Comité d’Ethique pour la Recherche en Santé du Burkina.  C’est un Comité d’Ethique qui a été créé par arrêté conjoint du Ministère de la Santé et du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l’Innovation depuis 2002.  Ce comité est sous la tutelle du Ministère de la Santé et du ministère en charge de la recherche scientifique.  En termes de missions dévolues au Comité d’Ethique, il est dit que :

  •  le Comité d’Ethique est chargé d’évaluer et d’analyser les projets de recherche en santé au Burkina Faso ;
  • émettre un avis sur le code d’éthique, les protocoles de recherche et délivrer un certificat d’éthique préalable à toute autorisation de recherche en santé ;
  •  de contrôler le respect des principes éthiques dans la réalisation de recherche ;
  • de promouvoir l’éthique de la recherche en santé au Burkina et d’élaborer un code éthique pour la recherche en santé au Burkina Faso et de le réviser en cas de besoin.

Il est dit également que les membres du Comité d’Ethique en son article 6 sont nommés par décret pour un mandat de trois (03) ans renouvelable. Ils jouissent d’une totale indépendance dans l’exercice de leurs fonctions.  J’ai fait un mandat renouvelable, donc six ans à la tête du Comité d’Ethique.

Quel bilan faites-vous de ces 6 ans passés à la tête du Comité d’Ethique ?

Le Comité d’Ethique est composé de 9 membres. Il faut noter que durant ces 6 ans, nous avons tenu régulièrement les réunions, les sessions du Comité d’Ethique.  Le Comité d’Ethique se réunissait tous les premiers mercredis du mois pour examiner les protocoles et nous avons fait cela pendant six ans, sauf en 2019 où il y a eu un temps où nous n’avons pas pu tenir ces sessions pour problème budgétaire.  C’est vraiment quelque chose qu’il faut saluer, il faut aussi saluer la disponibilité des membres du comité et leur engagement. A chaque session du comité, on avait en moyenne 10 à 15 nouveaux protocoles à examiner. En plus de l’examen des protocoles, il y a la révision des amendements, qui en général étaient au tour de 5 à 10 amendements par session.  Donc, vous imaginez le volume de travail qui a été effectué par le Comité d’Ethique durant tout ce mandat, sans discontinuer, sauf durant la période un peu difficile où les sessions n’ont pas pu se tenir. En plus de ça, avec la pandémie de Covid 19, nous avons plutôt fait des réunions hebdomadaires pour évaluer les protocoles liés à covid 19 qui étaient soumis au Comité d’Ethique pour permettre une diligence, un examen accéléré de ces protocoles, parce qu’on est en période d’épidémie.  Tous les protocoles ont toujours passés au peigne fin  et étaient examinés avec le plus de rigueur possible.

Avez-vous  un goût d’inachevé sur une action donnée ?

Il faut dire que depuis deux ans le Comité d’Ethique n’a pas de budget. Et c’est un véritablement un problème qui handicape son fonctionnement. Les membres du comité ont dû à des moments donnés cotiser pour prendre en charge l’indemnité pour la secrétaire, pour qu’elle puisse avoir du carburant et venir. Ils ont dû aussi cotiser pour le nettoyage du siège du comité. Et à mon avis, ce sont des insuffisances qu'il faut absolument travailler à corriger. Un goût d’inachevé, avec ces problèmes budgétaires, tout ce que nous avons mis dans notre dernier plan d’action, notamment les aspects liés à la formation des médecins, des pharmaciens et des chercheurs dans le domaine de l’éthique n’ont pas pu être réalisés.  Ensuite, la question de la plateforme numérique qui devait être mise en place pour permettre aux gens de faire des soumissions de leur protocole on line, n’a pas pu être aussi réalisée. Un autre aspect qui me paraît important, c’est que nous avons aussi le sentiment que la question de l’indépendance du Comité d’Ethique n’est pas toujours bien comprise.  C’est un véritable problème, parce que dans le décret, il est effectivement dit que le Comité d’Ethique est indépendant et doit pouvoir statuer sur tous les protocoles en toute indépendance sans pression aucune, que ce soit des pouvoirs publics ou  des laboratoires pharmaceutiques.

Est-ce que vous faites en même temps des recommandations pour faciliter le travail de vos successeurs ?

Oui. Ce qu’on peut souhaiter est que le nouveau Comité d’Ethique puisse se battre pour maintenir cette indépendance, sinon sans cette indépendance, le comité ne sera pas crédible.

Grand chercheur que vous êtes, parlez-nous de la recherche au Burkina et des suggestions s’il y a lieu d’en faire

Je suis chercheur grand de taille, mais je ne sais pas si je suis un grand chercheur (rires). Il y a certainement d’éminents chercheurs plus que moi, mais ce que je peux dire sur la recherche au Burkina, c’est qu’il faut noter franchement qu’en termes de ressources humaines, il y a eu un bond qualitatif, il y a beaucoup de jeunes chercheurs qui sont bien formés dans les universités nationales comme à l’extérieur. Maintenant en matière d’équipements et même d’infrastructures, de la mise à niveau notamment des laboratoires, il reste qu’il y a beaucoup de difficultés.  Mais la plus grosse difficulté à mon avis reste le financement de la recherche qui est quasi inexistant. La recherche coûte chère, il faut que le gouvernement prenne à bras le corps la question de la recherche, parce que la plupart des chercheurs burkinabè prennent part à des compétitions d’appels d’offres internationaux et ont le mérite de gagner. Mais, ça reste quand même l’agenda de celui qui lance l’appel d’offre international. Or, il me paraît important, par rapport aux besoins des populations, qu’il puisse y avoir plus de financements pour la recherche au niveau national, qu’un agenda clair puisse être défini, avec des appels d’offres conséquents pour permettre aux chercheurs burkinabè de travailler et d’engranger en tout cas beaucoup de résultats. Au regard de la qualité des recherches qui sont effectuées au Burkina, je suis sûr que s’il y a des financements conséquents pour la recherche, le Burkina ira beaucoup mieux, le Burkina ira de l’avant, parce que des résultats probants seront trouvés. J’en suis persuadé.

Personnellement, quel est l’intérêt pour vous de vous impliquer tant dans la recherche ?

La recherche c’est mon boulot, la recherche c’est la production de la connaissance nouvelle. Et celui qui a les connaissances en réalité a le pouvoir. Aujourd’hui quand vous regardez par rapport à la pandémie de Covid 19, tout le monde se bat pour trouver le médicament. Tout le monde se bat pour trouver le vaccin. Voici des cas pratiques de l’utilité de la recherche. La recherche sur Covid 19 est un cas palpable où il y a vraiment un besoin de recherche.  Celui qui trouve le médicament ou le vaccin, outre les retombées financières sauvera des vies humaines.  Et à mon avis, c’est quelque chose d’inestimable. Les recherches doivent viser à trouver des solutions aux problèmes de nos populations et c’est extrêmement important. J’ai donné l’exemple de la Covid 19, mais il y a d’autres maladies qui nous assaillent, le paludisme, le VIH, etc. et tout cela doit concourir à trouver des solutions aux problèmes de santé de nos populations.  Vous avez la mortalité maternelle qui est une préoccupation aujourd’hui et il faut trouver des stratégies idoines pour répondre à cela.

Vous êtes aussi impliqué dans l’encadrement des futurs médecins en santé publique, quels sont les objectifs recherchés à travers un tel engagement ?

Nous, nous avons fait la santé publique à l’extérieur, parce qu’il n y’avait pas d’institution qui formait les médecins, les pharmaciens, et tous ceux qui étaient intéressés par la santé publique au Burkina. Il fallait aller dans la sous-région ou en Europe. Donc, nous nous sommes dit qu’avec toute l’expérience accumulée, il est important que l’on développe la santé publique dans nos pays, dans notre contexte, parce qu’après tout, c’est nous qui vivons ces problèmes de santé publique.  C’est pour cela que nous nous sommes impliqués dans la formation  de nos jeunes frères dans le domaine de la santé publique, pour partager notre expérience avec eux, pour qu’on ait une masse critique de personnels de santé formés en santé publique, capables d’assumer les fonctions de santé publique, tant du point de vue de la surveillance épidémiologique, de la recherche épidémiologique que la gestion des systèmes de santé.  Aujourd’hui avec cette épidémie, je pense que tout le monde comprend la nécessité d’avoir des médecins, des pharmaciens, des biologistes formés en santé publique, parce que la Covid 19 a permis de savoir toute l’utilité du médecin de santé publique. C’est ma modeste contribution à la formation de mes jeunes frères que ce soit du Burkina ou de la sous-région.  L’Institut Africain de Santé Publique a été créé en 2013. Avant 2013, tous ceux qui voulaient se spécialiser en santé publique le faisait hors du Burkina avec bien sûr des coûts relativement plus élevés. 

Avez-vous un message particulier ?

Je souhaite au niveau du Comité d’Ethique que les membres jouent pleinement leur rôle en toute indépendance, quelque soit les vicissitudes, quelque soit les difficultés. Au niveau de la recherche, je souhaite vivement que le gouvernement se penche vers un financement plus conséquent de la recherche dans nos pays. A l’endroit des chercheurs, je souhaite plus d’engagement dans le travail pour qu’on ait des résultats probants. Enfin, je voudrais dire que la recherche n’est pas seulement réservée aux chercheurs professionnels. Tout le personnel de santé doit concourir à faire de la recherche. Un clinicien qui est à Banfora, qui par rapport à des problèmes qui se posent aux patients doit lui-même se poser la question, comment est-ce que cette situation arrive aux patients et doit pouvoir conceptualiser cela, faire une recherche pour comprendre ce qui se passe.  Si vous êtes dans votre hôpital et vous voyez qu’il y a beaucoup de femmes qui sont évacuées dans votre hôpital et qui malheureusement décèdent, le reflexe que vous devez avoir c’est qu’est-ce qui se passe depuis le niveau périphérique, le niveau communautaire jusqu’à l’hôpital pour que les femmes décèdent. Chacun à son niveau doit pouvoir faire la recherche. Quand vous êtes médecin Chef de District et vous observez que vos indicateurs ne bougent pas, vous devez vous poser la question pourquoi ? Et vous devez être en mesure de conduire la recherche pour améliorer vos indicateurs, pour qu’il ait moins de malades, moins de décès. Il est extrêmement important que tout le monde se mette dans la recherche.

Presse et Communication du CNOMBF

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